Le jour où l'homme a marqué des points
Ca a très mal commencé. Quand on s'est aperçu que l'homme avait zouillé la réservation de la voiture et que notre week-end allait nous coûter 200€ de plus que prévu... Grosse crise de mon côté "purééééééé on n'a pas de thuuuuuune" , hésitations (on annule tout ? non, on ne peut tout simplement pas). Et puis nous voilà embarqués, brouillés et grognons mais embarqués. Notre première grosse crise...Et sans surprise, parce que cet homme est tout simplement génial, le nuage s'est envolé et nous voilà sur la route de la Lorraine pour aller voir ma Mamie, pas vue depuis plus de 10 ans, 15 même peut-être... En route pour son petit village perdu dans la campagne, pour la grande maison où j'ai passé tous mes week ends et une bonne partie de mes vacances pendant mes 15 premières années.
Après quelques péripéties du genre oublier la bouffe de bébé sur le toit de la voiture, puis la renverser par terre, puis oublier de changer ledit bébé... bref, nous sommes arrivés devant la maison. J'ai pris Pierre dans mes bras. J'ai sonné à la porte, qui s'est ouverte sur ma Mamie tellement changée, toute petite, tellement vieillie. Je l'ai prise dans mes bras, je lui ai fait des bisous, je lui ai présenté mon bébé, j'ai eu les larmes aux yeux, j'ai fait signe à l'homme de nous rejoindre, il a vu mes larmes, m'a passé son bras autour des épaules et j'ai su que tout cela n'avait pas de prix, que ce moment, j'avais eu besoin de le vivre, à quelque condition que ce soit...
On a mangé de la tarte aux mirabelles avec le café ; à son âge (elle est née en 1917), je n'en reviens pas de la pêche qu'elle a. On a fait un tour dans le jardin, autrefois si magique, si grand si beau, dépecé par mon père qui lui en a fait vendre les trois quarts... Jardin dévoré et défiguré par une immonde maison construite là où je plantais ma tente en été, quand je me prenais pour une aventurière, face aux collines, au petit ruisseau en bas de la pente, au soleil couchant... Tous les arbres ont été arrachés, le beau tilleul à l'ombre douce, le néflier aux branches tombantes, les arbres fruitiers dont on faisait des pots et des pots de confitures, les lilas si odorants dont on rapportait des bouquets le dimanche soir en rentrant à la maison... Tristesse infinie de ce massacre de mes souvenirs et d'un si doux endroit.
Puis on l'a laissée, on a fait un petit tour dans le village avec Pierre qui s'est endormi. Puis on est revenus, on a fait quelques photos avec elle. Et on est partis. Je l'ai prise trois fois dans mes bras, je suis revenue lui faire des bisous, avec Pierre puis sans Pierre. Puis il a fallu partir. On a pris la tarte qu'on avait pas finie et on est montés dans la voiture. On a fait des grands coucous avec les bras par la fenêtre et je l'ai vue se détourner, son sourire l'avait quittée. Je crois que toutes les deux, à ce moment-là, on espérait très fort que ce n'était pas la dernière fois qu'on se voyait...
Ce voyage, ce retour, j'ai envie de le faire depuis des années. Les circonstances familiales, le fait que je n'ai pas le permis de conduire : tout cela m'en avait empêchée jusque là. Et c'est cet homme-là qui a pris l'initiative, qui m'a poussée à faire cette démarche. Et ça, ça valait tout l'or du monde...